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21 abril 2013

Isoler sa maison en pisé? (ENTPE/CNRS)

Isoler sa maison en pisé?

Un article de Pierre-Antoine CHABRIAC (ENTPE/CNRS), Jean-Claude MOREL (ENTPE/CNRS), Erwan HAMARD (ENTPE/CNRS)
Face à l’évolution de la réglementation thermique qui vise à améliorer les performances thermiques des habitations en général, la question de l’isolation des constructions en pisé, en particulier, se pose actuellement et les professionnels de la construction en pisé doivent faire face à une demande de plus en plus pressante de la part des propriétaires de ce type de maisons. Néanmoins, isoler une maison en pisé peut se révéler contre-productif voire dangereux pour l’intégrité du bâtiment. Nous vous proposons donc ici de faire le point sur l’état des connaissances actuelles afin de vous aider à prendre les décisions les plus pertinentes possibles. 
La technique de construction en pisé est utilisée depuis l’antiquité. Elle s’est développée en France plus particulièrement à partir du 18ème siècle dans une zone géographique s’étendant approximativement de Clermont-Ferrand jusqu’aux Savoie d’Ouest en Est et de Chalon-sur-Saône à Valence du Nord au Sud ainsi qu’en Midi-Pyrénées. Un mur en pisé est constitué de terre prélevée localement et compactée en couches successives dans un coffrage. Les terres à pisé sont constituées d’argiles, de limons, de sables et éventuellement de graviers voire d’éléments encore plus grossiers. Contrairement aux murs à base de ciment ou de terre cuite qui peuvent être considérés en première approximation comme imperméables à la vapeur d’eau et très peu poreux, le pisé, lui, a la capacité d’absorber de l’eau sous forme vapeur ou liquide. Ces caractéristiques rendent le comportement thermique de ce matériau plus complexe que celui d’un matériau de construction plus conventionnel comme le béton ou le parpaing de sable ciment, par exemple.
Le premier effet qui se manifeste est l’inertie thermique du mur : les murs en pisé ont une forte épaisseur (de l’ordre de 50 cm) et, donc, une masse très importante. De ce fait, lorsque le soleil chauffe la paroi extérieure, il faut au moins une demi-journée avant que la chaleur correspondante ne commence à traverser le mur. Ainsi, à l’automne, en hiver et au printemps la chaleur captée dans la journée est restituée la nuit. Ceci explique, en partie, l’effet de « climatisation naturelle » connu dans les maisons en pisé et parfaitement quantifiable. L’été, en revanche, le soleil est plus haut et son rayonnement est moins intercepté par les murs.
Le deuxième effet thermique est lié aux changements de phase de l’eau dans les murs : les murs en pisé absorbent l’eau-vapeur provenant de l’utilisation normale de la maison par ses habitants (douches, cuisson, respiration…). Ils peuvent aussi absorber de l’eau-liquide qui remonte par capillarité du soubassement si celui-ci n’est pas totalement étanche ou de l’eau de pluie si celle-ci est localement interceptée par les façades extérieures. Cette eau s’accumule dans le mur pendant les phases humides et froides. Elle est ensuite restituée par évaporation dans l’atmosphère extérieure et intérieure pendant les phases ensoleillées plus chaudes. Or, lorsque l’eau passe de l’état liquide à l’état vapeur, en absorbant de l’énergie pour sa vaporisation, elle abaisse la température du mur (le même phénomène se produit lorsque vous transpirez pour lutter contre la chaleur) et inversement, lorsque l’eau passe de l’état vapeur à l’état liquide, en restituant cette énergie, elle augmente la température du mur.
Ainsi, en été une partie de l’énergie apportée par le soleil est consommée par l’évaporation de l’eau du mur et en hiver la condensation de la vapeur d’eau dans le mur lui apporte de la chaleur. L’effet de changement de phase de l’eau s’additionne donc à celui d’inertie thermique du mur pour tempérer le climat intérieur du bâtiment.
Il est important de comprendre que les constructions en terre crue (pisé, torchis, adobe, bauge …) s’humidifient, transpirent, respirent et sont perméables à la vapeur d’eau. La mise en place d’un isolant (ou d’un enduit) plus ou moins imperméable sur leur surface ne peut que perturber les phases d’humidification/séchage du mur. L’eau peut alors s’accumuler dans le mur et réduire sa résistance mécanique ce qui peut aller jusqu’à l’effondrement.
Il y a DANGER ! Si on doit appliquer un revêtement sur un mur en terre crue on doit d’abord s’assurer de sa perméabilité vis à vis de la vapeur d’eau. Les isolants imperméables à la vapeur d’eau (polystyrènes…) sont donc à proscrire aussi bien en intérieur qu’en extérieur pour le pisé. Les isolants poreux risquent de se gorger d’eau en dessous du point de rosée (température à partir de laquelle l’humidité présente dans l’air se condense) et, une fois humides, perdre leur capacité d’isolation et entrainer d’autres pathologies comme le développement de moisissures, par exemple.
Aujourd’hui nous ne savons pas encore quantifier précisément l’apport de chacun des phénomènes en jeu dans le contrôle hygrothermique du pisé. Il est donc difficile, à l’heure actuelle, de se prononcer avec certitude sur l’intérêt de l’isolation. Les conséquences sur le comportement hygrothermique de l’isolation d’une maison en pisé n’étant pas connues, il est préférable, pour le moment, de différer ce type de travaux lorsque c’est possible. Si toutefois la maison présente un inconfort thermique important, nécessitant une intervention, alors nous vous recommandons :
_ de faire vérifier la nature de vos enduits, un enduit à base de ciment empêche le bon fonctionnement hygrothermique du pisé, les seuls enduits compatibles avec les murs en terre crue sont ceux à base de terre, ou de chaux hydraulique naturelle (NHL) ou de chaux aérienne (CL et DL). Si votre maison est enduite avec un enduit imperméable, une solution peut être de l’enlever et le remplacer, (« Règles professionnelles pour la mise en œuvre des enduits sur supports composés de terre crue » à paraître)
_ de vous adresser à un professionnel du pisé expérimenté,
_ de ne jamais utiliser d’isolants ou de revêtements étanches à la vapeur d’eau,
_ de ne pas isoler les murs exposés au soleil
_ si nécessaire, de construire coté intérieur, un doublage ventilé sur les murs exposés au nord uniquement
_ de privilégier l’isolation du toit et des ouvertures (doubles vitrage)
Afin d’apporter des éléments de réponses à toutes ces questions, l’équipe de recherche « matériaux premiers » de l’Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat a lancé un programme de recherche.
Les premiers résultats sont attendus à l’horizon 2013.
Rédigé avec la participation de Franck Janin (Ingénieur conseil en énergies renouvelables et thermique du bâtiment). Quelques chiffres
-Un pisé à une densité comprise entre 1,7 et 2,2 (soient 1700 à 2200 kg/m3), on peut se baser sur des valeurs de conductivité thermique (à sec) allant de 0,45 et 1,6 W/m.K (grande variabilité en fonction des terres et des méthodes de mesure) et une capacité calorifique massique de l’ordre de 900 J/kg.K.
-Pour un volume de 1m3 de pisé (soit un mur d’une surface de 2 m² d’un mur de 50 cm d’épaisseur), contenant 1% de teneur en eau liquide en poids, si toute cette eau devait se vaporiser à 20°C et sous pression atmosphérique (1 bar), l’énergie consommée serait de 12,5 kWh (ce phénomène thermodynamique est dit « réversible », ce qui signifie que si ces 1% d’eau sous forme vapeur cette fois se condensaient, la même quantité d’énergie serait alors restituée).
-Le potentiel énergétique moyen en provenance du soleil est de 1400 kWh/m² de surface horizontale/an au sol en France. Ce chiffre est évidemment très dépendant de la région.

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